Aurélia Blanc est journaliste pour le magazine Causette. Enceinte de son petit Alix, elle réalise qu’aucun ouvrage ne vient épauler les parents souhaitant élever leur garçon dans une société égalitaire. Ainsi a-t-elle accouché de Tu seras un homme – féministe – mon fils !, un « manuel d’éducation antisexiste pour des garçons libres et heureux ». Nous l’avons rencontrée.
Comment l’idée de ce livre a-t-elle germé dans votre esprit ?
J’étais enceinte et, même si j’ignorais encore le sexe de mon enfant, j’étais intimement persuadée d’attendre un petit garçon. Cela a suscité beaucoup de questions en moi. Je me demandais comment j’allais élever un enfant qui ne soit pas sexiste, qui soit conscient des enjeux de l’égalité… Si c’était si simple, le partage des tâches serait effectif et le harcèlement n’existerait pas ! J’ai commencé à me renseigner fin 2016. Hormis trois posts sur des blogs qui se battaient en duel, aucune littérature n’existait. Je me suis rendue à la librairie Violette and Co, spécialiste du féminisme et des questions de genre : s’il y avait bien un endroit où trouver ce qui m’intéressait, c’était là ! Rien. « C’est un livre qu’il reste à écrire », m’a dit la libraire. J’ai alors imaginé cet ouvrage qui rassemble les ressources pour éduquer son garçon de façon non sexiste.
Pourtant, plusieurs ouvrages destinés aux parents de petites filles existent. Pourquoi, là encore, cette distinction ?
C’est assez légitime car, l’enjeu premier, c’est d’aider les filles à s’émanciper, qu’elles aient les mêmes chances que les garçons, leur faire prendre conscience qu’elles sont leurs égales. Mais pour faire évoluer la place des femmes, il faut aussi changer celle des hommes. Ce n’est pas seulement à elles de parcourir ce chemin ! Je me réjouis que le mouvement #MeToo ait commencé à faire bouger les lignes et mis en lumière l’importance de l’éducation des garçons.
Quels stéréotypes ont la vie dure ?
Les garçons seraient par nature plus forts que les filles, tant physiquement qu’émotionnellement. Ils seraient plus agressifs et auraient besoin de se dépenser, tandis que les filles seraient douces, calmes, plus à même de prendre soin des autres.
J’imagine que vous avez parcouru vous-même pas mal de littérature éducative avant d’écrire ce livre. Qu’est-ce qui vous a fait bondir ?
Lorsqu’on tape dans Google la requête « élever un garçon », l’un des premiers résultats est un article tout droit sorti de l’enfer, pourtant issu d’un grand magazine de développement personnel. On y lit qu’il ne faut pas embrouiller les enfants avec des histoires d’égalité et y conseille de dire à son garçon : « Qu’est-ce que tu es fort. Heureusement que tu es là pour protéger les filles ! » et à sa fille : « Tu vas devenir une très belle dame, tu auras des bébés dans ton ventre ».
Qu’est-ce qu’on enjoint couramment les petits garçons à faire ou à être ? Et qu’est-ce qu’on leur interdit ?
On les encourage à réfréner toute expression de leurs émotions. Même un bébé chez le pédiatre (« ne pleure pas, tu es un garçon ») ! Je vous laisse imaginer l’impact psychologique à l’âge adulte. On ne souhaite pas qu’ils s’amusent avec des jeux dits « féminins » ou d’imitation, comme les poupées ou la dînette ; on proscrit le rose et on les reprend lorsqu’ils adoptent une certaine posture physique, les jambes croisées par exemple. On admet qu’une petite fille soit amoureuse mais, quand un petit garçon s’épanche sur des questions sentimentales, ce sont souvent des moqueries qu’il récolte.
Est-ce parce que certains font un parallèle entre une sensibilité et des goûts dits « féminins » et l’homosexualité ?
Je pense qu’on peut y lire une peur inconsciente de l’homosexualité, perçue comme une féminisation de l’homme.
Quels conseils donnez-vous donc aux parents d’un petit garçon ?
Déjà, l’autoriser à pleurer ! Il a le droit d’avoir peur, d’avoir mal, d’être triste… Il faut l’aider à verbaliser ses émotions. Mais aussi laisser filles et garçons jouer à ce qu’’ils veulent, de manière indifférenciée, entre une voiture, une poupée, un jeu calme ou plus sportif. Il est bon de leur proposer des contre-modèles, des dessins-animés et de la littérature jeunesse hors des sentiers battus, de faire fi des princesses et des super-héros, de l’aider à développer son esprit critique. Et donc à prendre plus facilement ses distances vis-à-vis des stéréotypes auxquels il est quotidiennement confronté. On a tous en nous des biais sexistes qui font qu’on n’interagit pas de la même façon avec une fille et un garçon. La première chose que l’on peut faire, c’est déjà d’en prendre conscience, et de s’interroger sur nos pratiques. Est-ce que je tolère les mêmes choses de mon fils et de ma fille ? Quels sont les compliments que je fais à mon fils ? Renvoient-ils souvent à des stéréotypes ? Si oui, quels autres aspects de sa personnalité pourrais-je valoriser ? Il est également important de leur parler tôt du corps, de l’intimité et de l’idée de consentement.
Et comment éduque-t-on les papas, qui se sont eux-mêmes construits sur un champ de stéréotypes ?
Vaste question… S’ils sont réfractaires à une éducation antisexiste, le dialogue prime. Les interroger sur ce qu’ils auraient eux-mêmes aimé faire étant enfants, leur glisser quelques suggestions de podcasts sur la déconstruction de la masculinité hégémonique… Et leur rappeler que leur fils à tout à gagner à être libre. Plus globalement, il est important de s’interroger sur notre organisation familiale et le modèle que l’on propose à nos enfants. Au sein du foyer, nous transmettons des représentations plus ou moins sexistes (par exemple, si c’est toujours maman qui cuisine et papa qui s’occupe de la voiture). Là encore, l’idée n’est pas de tout révolutionner du jour au lendemain, ni d’être parfaitement égalitaire, mais de parler de nos propres paradoxes. Aborder ce sujet, c’est montrer à son enfant que le modèle qu’il a sous les yeux n’est ni « naturel », ni immuable.
Noël approche ! Des idées de cadeaux antisexistes ?
The Moon Project a revisité les jeux de notre enfance à la sauce égalitaire. Une bataille où le roi et la reine ont la même valeur, un jeu des 7 familles avec des femmes au parcours inspirant… Les éditions Talents Hauts proposent de la littérature jeunesse non sexiste de qualité. J’adore aussi Mon super-cahier d’activités antisexiste, publié par La Ville Brûle. C’est parfait pour les occuper intelligemment dans le train ! Et proscrire les jouets genrés jusqu’au ridicule, comme ces tablettes tactiles pour enfants, rose pour les filles et bleue pour les garçons. La rose est d’ailleurs plus chère…
Propos recueillis par Cécile Mortreuil
Tu seras un homme – féministe – mon fils ! d’Aurélia Blanc, éditions Marabout, 224 pages, 15,90 € (10,99 € en version e-book).